La culture de la paix semble aujourd’hui plus que jamais indispensable : la situation actuelle dans le monde entier, et bien sûr dans notre pays frappé par plusieurs attentats et où l’intolérance et le communautarisme augmentent, ce qui démontre l’ardente nécessité de faire partager la vision du bien – vivre ensemble et de la citoyenneté et de lutter contre la violence et ses effets dévastateurs.
Avant de montrer comment la culture de la paix peut être enseignée à l’école et donc se propager dans l’ensemble de la société en utilisant la science comme support, il convient de s’attarder un peu sur les deux concepts de paix et de science.
En ce qui concerne la nature de l’espèce humaine, les biologistes, tels que Georges Chapouthier, font remarquer que celle-ci conserve tout au long de son évolution un caractère « juvénile », à l’instar d’autres espèces (telles que l’axolotl) qui demeurent à l’état larvaire tout au long de leur vie. Notre juvénilité se traduit par l’incroyable plasticité de nos cerveaux, par l’importance du jeu, de l’invention et de la capacité des individus à ne pas avoir un comportement aussi « programmé » que la plupart des membres des autres espèces animales. En bref, nous sommes des animaux sociaux qui vivent en groupes mais dont le caractère agressif est indubitable. La recherche de la paix est l’exception au regard de tous les conflits de toutes sortes qui frappent l’humanité depuis son origine. On peut également affirmer sans se tromper que la plupart de ces guerres est inspirée par les religions et le refus des uns que les autres pensent différemment. Il faut donc admettre que la propagation de la culture de la paix est un processus qui demeurera complexe, puisqu’il faut chercher à dépasser la véritable nature agressive des individus.
Concernant la science, il faut d’abord distinguer le savoir scientifique établi que l’on doit apprendre et/ou enseigner à l’école ou à l’université, de la science qui est en train de s’accomplir dans les esprits des scientifiques et dans leurs laboratoires. Dans le savoir scientifique, il y a la plus grande partie qui est, par définition, objective et indiscutable : on ne verra pas un fil électrique traversé par un courant se refroidir ou de la glace se former en chauffant l’eau d’une casserole et l’on ne peut pas classer les araignées dans l’ordre des insectes. Mais, il faut savoir également enseigner les « domaines de validité » des théories scientifiques : on sait depuis le début du 20ème siècle grâce à Albert Einstein que la théorie de la gravité de Newton qui gouverne la mécanique des corps ayant une vitesse « ordinaire », faible par rapport à celle de la lumière (300 000 km/sec.) devient alors caduque lorsque cette condition de «lenteur» n’est plus remplie.
L’enseignement de la science, même à l’école ou au collège, doit donc tenir compte des différents statuts du savoir scientifique : celui qui est vérifiable en toutes circonstances ; celui qui s’applique dans certaines conditions (les théories de la relativité vis-à-vis de la mécanique « classique » newtonienne – la mécanique quantique qui gouverne le microcosme vis-à-vis de la physique classique déterministe « ordinaire » ; enfin, celui qui est en train de se construire dans les laboratoires de recherche où on observe, expérimente et calcule.
Le chercheur essaye de formuler des hypothèses, de bâtir des modèles qui « caricaturent » la réalité mais qui permettent de les tester plus facilement. Le chercheur est guidé par l’affirmation de Karl Popper, selon lequel est scientifique, toute affirmation « falsifiable ». Il est également « nominaliste » puisqu’il cherche des explications simples à des phénomènes apparemment compliqués. Par ailleurs, la tendance générale des scientifiques qui s’intéressent aux mathématiques et aux sciences de la nature est de chercher à les « unifier » : par exemple, l’émission de la lumière, l’électricité et le magnétisme procèdent de la même physique décrite par les équations de Maxwell ; dans la théorie de la relativité générale, les forces sont équivalentes à la courbure de l’espace ; les mêmes acides nucléiques opèrent dans l’ensemble du vivant et la géométrie en spirale des protéines est très voisine de celles de l’ADN et de l’ARN.
Le professeur ou l’animateur qui aura à enseigner la science ou la diffuser dans le public devra faire en sorte que ces différentes caractéristiques de la science soient bien comprises par leurs élèves ou leurs audiences.
Avant d’évoquer quelques pistes visant à utiliser la science pour catalyser la paix, je suis obligé de rappeler que la science a très souvent servi les activités belliqueuses des hommes et qu’elle s’est souvent développée à partir de demandes présentées pour des raisons « militaires ». Le bombardement des villes d’Hiroshima et de Nagasaki par la bombe « A » américaine est directement lié aux travaux de recherche du Projet « Manhattan » auxquels plusieurs physiciens de grand talent, Robert Oppenheimer et quelques autres ont apporté leur concours ; les Observatoires Astronomiques de Paris et de Greenwich ont été fondés au 17ème siècle pour fournir des cartes géographiques fiables aux marines de guerre française et anglaise ; le développement des radars pendant la 2nde guerre mondiale a permis l’essor de la radioastronomie dès la fin des années 1940. Enfin, plus près de nous, une classe importante d’objets astronomiques dits les « sursauts gamma » a été découverte dès que les données, provenant de satellites militaires ayant pour objectif la surveillance des essais nucléaires, ont été déclassifiées.
Comme je vais le développer un peu plus loin, la science peut catalyser la paix à condition d’être enseignée ou diffusée dans le monde scolaire ou auprès du public de telle façon que ceux à qui on s’adresse éprouvent du plaisir à la satisfaction de leur légitime curiosité. Je me tiens à la disposition des acteurs de l’Education Nationale pour échanger quant à l’amélioration nécessaire de la façon dont les sciences physiques sont enseignées au niveau du Collège et du Lycée. J’émettrai ici un seul souhait à savoir que dans l’enseignement des sciences de la nature, on utilise davantage l’histoire de ces disciplines et la référence aux « origines » – origine de l’Univers, de la Terre et du Système Solaire, de la Vie, de la matière, de l’énergie, de la lumière…. – quand on vise à construire des programmes attrayants. Par ailleurs, les enfants ne rechignent pas devant les concepts complexes, voire difficiles, pourvu qu’on prenne le soin de les expliquer clairement.
Les raisons qui font que la science peut être un catalyseur de paix efficace tient, de fait, à sa nature et à la façon dont l’enseignement des sciences et la recherche doivent opérer. Concernant sa nature même, il s’agit de construire ou de diffuser un discours « objectif » sur les phénomènes naturels et ceux qui affectent l’Homme et ses sociétés. Dans une équipe de recherche, l’étudiant peut avoir raison vis-à-vis de son directeur de thèse ou de sa hiérarchie s’il a mieux compris une question, un sujet ou un processus. Par ailleurs, et c’est de plus en plus vrai lorsque l’on utilise des équipements performants mais coûteux, il faut apprendre à collaborer dans des équipes souvent nombreuses numériquement. Citons à ce propos le projet de physique nucléaire SESAME mis en place en Jordanie par l’UNESCO : autour de ce dernier, des chercheurs arabes, israéliens et palestiniens coopèrent dans un climat de paix dont l’on souhaiterait qu’il inspire davantage le monde politique. La science progresse par un jeu subtil entre l’émulation nécessaire et la coopération. En ce qui me concerne, mes meilleurs amis sont quelques astrophysiciens américains avec lesquels j’ai coopéré (mais aussi été en compétition) au début des années 1970 quand j’étais chercheur post – doctoral en Californie.
Venons-en au rôle catalytique de la science dans les petites classes, il convient de rappeler la magnifique initiative appelée « Hands on » des années 1980 – 1990 du Professeur Léon Lederman, lauréat Nobel, qui contribua à «socialiser» les jeunes écoliers venant des ghettos noirs autour de Chicago par l’organisation d’expériences et de projets scientifiques adaptés dans leurs salles de classe. Georges Charpak qui fut l’un des grands physiciens de l’ESPCI , importa en France ce dispositif qui est devenu en France sous l’égide de l’Académie des Sciences (Pierre Léna, Yves Quéré et quelques autres) « La Main à la Pâte » . Le principe en est simple : les enfants travaillent en équipe autour de projets scientifiques simples et, bien sûr, avec l’aide de leurs enseignants. Ils ne se contentent pas de mener leurs expériences ou leurs observations, ils doivent ensuite rédiger leur rapport et le présenter à leurs camarades. Ce mode éducatif qui part de la curiosité naturelle des enfants et qui mobilise toutes leurs facultés d’expérimentation, de conception et de présentation donne des résultats tout à fait remarquables.
Les enfants du primaire sont naturellement très curieux et il est relativement aisé pour un enseignant un tant soit peu motivé et enthousiaste de répondre à cette curiosité et de l’encourager. Qu’il me soit permis d’évoquer un exemple personnel : j’éprouve un énorme plaisir à intervenir dans ces classes à la demande de leurs enseignants intéressés pour leur parler de tel ou tel aspect du ciel et de l’espace. Les auditoires sont captivés et posent leurs questions dans le calme. Les enseignants me disent après coup que les plus turbulents de leurs élèves se comportent alors de façon tout à fait calme. Mon regretté ami, le Professeur André Brahic, avait coutume de dire que pour régler le problème des banlieues, la venue des astronomes est bien préférable à celle des CRS.
Ce que l’on apprend de « La Main à la pâte » ou autres organismes ayant le même principe, c’est que pour mener un projet scientifique, il est bon de constituer des équipes rassemblant des talents divers qui apprennent à coopérer, à dialoguer et à discuter. La science rassemble et favorise des initiatives collectives.
Lorsqu’un enfant a compris une notion scientifique ou a participé à un projet réussi, il acquiert facilement l’estime de soi et des autres qui sont, pour moi, un élément important favorisant l’instauration de la paix dans une classe ou dans un groupe d’enfants.
La science n’est, bien entendu, pas la seule matière favorable à la dissémination d’une culture de paix dans les classes élémentaires : les disciplines artistiques (musique, théâtre…) et les activités sportives partagent avec celle-ci, une certaine exigence dans le comportement en groupe, la valorisation de l’effort intellectuel ou physique et la joie qu’elles procurent quand l’enfant seul ou mieux en groupe « réussit ».
Comme vous l’avez bien compris, nous ne devons pas nous priver de cette formidable ressource que constituent la science et sa pratique.
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