Prévenance

Construire le respect d’autrui pour un climat scolaire serein

Académie de Versailles – Séminaire départemental 1er et 2nd degrés

Serge Clément, IA-DASEN des Yvelines

 

Ouverture du séminaire par Monsieur Serge Clément, Inspecteur d’académie, Directeur académique des services de l’Éducation nationale des Yvelines.

 

 

 

Philippe Cherel, IEN Aubergenville                                  Benoît Falaize, IGEN                                                           Eric Debarbieux, Vice-Président Prévenance

Intervention de Monsieur Benoît Falaize, Inspecteur général de l’Education nationale

« Etat des lieux et enjeux de l’enseignement moral et civique à l’Ecole »

 

Conférence d’Eric Debarbieux

Eric Debarbieux

Le climat scolaire : une simple affaire de bienveillance ? 

Qu’est-ce que le climat scolaire ?

Le climat scolaire reflète le jugement qu’ont les parents, les éducateurs et les élèves de leur expérience de la vie et du travail au sein de l’école. C’est donc une notion très subjective. Pour autant, le climat scolaire n’est pas une simple perception individuelle. Cette notion repose sur une expérience subjective de vie scolaire qui prend en compte non pas l’individu mais l’école en tant que groupe large et les différents groupes sociaux au sein de l’école. Le climat scolaire c’est donc comprendre pourquoi il y a des tensions entre les différents groupes. En ce sens, il convient de ne pas limiter l’action aux seuls élèves. La sécurité des professeurs, leurs relations sociales et émotionnelles avec leurs collègues, la qualité du leadership doivent être incluses tout autant que l’interaction entre la perception de ce climat par les parents, les élèves et les enseignants.

Voici trois exemples qui illustrent les conceptions différentes du climat scolaire selon les groupes sociaux au sein d’un même établissement :

1. Nous sommes appelés dans une école. 80% des élèves trouvent que les punitions y sont injustes. Quand on interroge les enseignants, 80% disent que la gestion est trop laxiste. Pourtant 30% des élèves ont été exclus au moins une fois de la classe. Nous constatons un turn-over des équipes à hauteur de 72% avec un recrutement de beaucoup de jeunes contractuels. Après analyse, nous pouvons dire que les élèves n’ont pas tort car les punitions sont trop sévères, mais les enseignants n’ont pas tort non plus car ils ne font pas équipe, ils ne font pas loi ensemble. L’école devient une « anarchie organisée » si elle prise comme une juxtaposition de classes et que l’on se moque de ce qui se passe dans la classe d’à côté. Nous avons donc proposé une formation à la communication entre les élèves, entre les enseignants et les élèves et ce, sur deux années.

2. Nous arrivons dans un établissement du second degré où 50% des enseignants expliquent être contre le chef d’établissement qu’ils trouvent trop rigides et 50% sont favorables au chef d’établissement. Le problème n’est pas le chef : ce sont les deux conceptions de l’autorité qui s’affrontent.

3. Nous sommes appelés par de « jeunes » collègues d’une école pour de la violence dans l’établissement. Quand nous interrogeons les « anciens » collègues, ils nous disent que, selon eux, il n’y a pas de violence. Pourtant 20 % des enfants disent qu’ils ont été rackettés. Que se passe-t-il ? Nous découvrons que les plus anciens n’avaient pas envie de dire qu’ils rencontraient des difficultés.

Quand il y a un conflit entre des groupes, si on ne le pose pas, on ne le règle pas.

Les cinq dimensions du climat scolaire :

  1. Les relations : le climat scolaire est une question de relation. Les études montrent que le principal facteur de stress pour les enseignants n’est pas les relations avec les élèves mais les relations avec leurs pairs, avec les adultes. 
  2. L’enseignement et l’apprentissage : en effet, il n’y a pas de bon climat scolaire sans bons apprentissages. Il y a deux conditions qui font que les apprentissages sont de qualité : l’exigence (comment on croit en l’enfant, comment on sait qu’il peut progresser) qui n’est pas à confondre avec l’autoritarisme et la coopération (il faut que
    les enfants communiquent entre eux sur les apprentissages). Un bon climat de classe dépend d’un bon climat scolaire collectif.
  3. La sécurité : un enfant qui ne se sent pas en sécurité n’apprend pas. Mais un adulte qui ne se sent pas en sécurité n’enseigne pas correctement.
  4. L’environnement : la qualité des locaux est un facteur positif. Mais l’appropriation des locaux est un facteur très important également. Dans un établissement qui venait d’être refait à neuf, une enquête de satisfaction auprès des élèves montre que 80% d’entre eux sont satisfaits de leurs locaux. Deux ans plus plus tard 45 % expriment que les locaux ne sont pas agréables. Que s’est-il passé ? En deux ans, les toilettes ont été fermées. Certains élèves ont pris l’habitude de faire leurs besoins dans un escalier de l’établissement. L’odeur y est désagréable. Des élèves ne veulent plus emprunter cet escalier ce qui crée des « embouteillages » dans l’autre escalier de l’établissement. Il faut savoir que 25% des enfants parlent des toilettes dans le premier degré. C’est un devoir hygiénique que de laisser les élèves aller aux toilettes.
  5. Le sentiment d’appartenance : les élèves ont peu le sentiment d’appartenance au sein de l’école. Ainsi, on peut constater que nos établissements sont très peu habités par les élèves : en effet, il y a peu de travaux des enfants affichés sur les murs. Où sont les coupes gagnées par les élèves dans les établissements du second degré ? A l’étranger, elles sont souvent exposées dans une vitrine à l’entrée de l’établissement. En France, elles sont dans le bureau du proviseur. Si on veut lutter contre le harcèlement, il faut que les élèves se sentent reliés à au moins un enfant et à un adulte dans l’école.

Effets du climat scolaire sur les apprentissages

La relation entre climat scolaire positif et réussite des élèves a été bien établie internationalement. Les élèves apprennent mieux et sont plus motivés lorsqu’ils se sentent valorisés, qu’ils s’investissent dans la politique de l’école et que leurs professeurs se sentent fortement connectés à la communauté scolaire. La bonne qualité du climat scolaire augmente les résultats scolaires, indépendamment des facteurs socio-économiques initiaux. Il a une influence significative sur les capacités d’apprendre et d’augmenter les compétences scolaires (Etude d’Astor et Benbenishty de 2011 menée sur 73 254 élèves de 10 à 14 ans).

Effets du climat et victimation

Le lien entre qualité du climat scolaire et victimation est un des acquis majeurs de la recherche, tant en Fance qu’à l’international. Un climat scolaire positif est un facteur de résilience et de bien-être, et joue un rôle prépondérant dans la prévention de la violence. Un climat scolaire positif agit de manière favorable sur les états dépressifs, les idées suicidaires et la victimation : il est associé à la réduction des agressions et de la violence, du harcèlement (dont le harcèlement sexuel). Il faut garder en mémoire que 80% des violences graves à l’école sont faites par des élèves de l’école sur l’école. Il faut donc veiller à la sécurité interne à l’école

Que subissent les enseignants du premier degré ?

35,8% sont victimes d’injures ; 17,1 % de menaces ; 14,5% d’ostracisme ; 14% de harcèlement ; 12,3% de vol. Une enquête de 2017 met en avant deux types de victimation : l’ostracisme entre collègues (26% des enseignants) et le harcèlement (14%). Ces cas de harcèlement révèlent des tensions entre adultes : 33 % des cas de harcèlement déclarés ont pour auteur un autre membre du personnel, 46% des parents d’élèves 16%, la hiérarchie. On note également une aggravation des conflits d’équipes : de 18% d’enseignants ostracisés on est à 28%. Il faut noter que l’on manque cruellement de suivi post-traumatique pour les enseignants agressés. Par ailleurs, il n’y a pas de médecine de prévention pour les enseignants.

L’importance des « multivictimations »

La violence à l’école ne correspond pas aux violences les plus brutales. Ce sont des micro-violences : bagarres de cour de récréation, vol de trousse, insultes, ne pas être invité aux gouters d’anniversaire, ne plus avoir de copains… La solitude est ce qu’il y a de plus difficiles à supporter pour les victimes. Jusqu’en 2011, le terme « harcèlement » n’existait pas. Le harcèlement correspond à des victimations répétées. De plus, il y a une accumulation des victimations : l’enfant est embêté, puis insulté, puis bousculé…
Il faut noter que c’est un facteur de risque d’être un bon élève. « Intello » est devenu une injure de cour de récréation. 12% des élèves sont harcélés au primaire ; 10% au collège et 3,4% au lycée.

Les conséquences du harcèlement

  • conséquences scolaires du harcèlement : baisse de la motivation scolaire, des résultats scolaires de façon brusque. Il faut toujours aller voir ce qu’il y a derrière cela. 
  • conséquences en termes de santé mentale : on est alerté sur les cas les plus lourds : suicide… Mais il ne faut pas que cela masque les autres conséquences telles que les maladies psychosomatiques (mal de tête, colites…), l’isolement, la perte d’estime de soi, la dépression, l’auto-violence. Par ailleurs, l’absentéisme scolaire est très lié au harcèlement. 24% des cas d’absentéismes sont liés au harcèlement. 
  • conséquences en termes de sécurité publique : même si le harcèlement s’arrête, la dépression ne s’arrête pas. Quarante ans après, les enfants harcelés seront des adultes qui risquent de développer une dépression. Mais il faut également aider les harceleurs. Des études ont montré que les harceleurs plus tard sont des adultes qui occupent des emplois moins bien payés, qui ont été violents dans leur famille, qui ont fait un détour par la case prison…. Par ailleurs, 75% des cas de tirs dans les écoles dans le monde sont directement liés au harcèlement. Les harcelés reviennent dans UNE école pour se venger. Egide Royer qui est québécois dit : « En France, vous faites de la prévention sur un problème quand il est chronique ». C’est faire de la politique que de lutter contre le harcèlement et tout ce qui va dans le sens d’une organisation du monde enseignant est essentiel.

Les causes du harcèlement et de la violence à l’école

Il n’existe pas de type d’élèves harcelés ou harceleurs. Par contre, le fonctionnement du harcèlement est toujours le même. Il s’agit d’un phénomène de groupe : un groupe contre un autre. Le harcèlement, c’est être contre ce qui est différent : « t’es pas de mon quartier », « t’es homosexuel »… Il existe des facteurs personnels (trait de caractère) ; des facteurs familiaux (un enfant battu risque de devenir un enfant battant) ; des facteurs de risques socio-économiques (à mettre en débat : rien n’est possible sans changement économique global ?) ; des facteurs de risques associés à l’influence des pairs : (conformisme) ; des facteurs de risques associés à l’école (travail sur le climat scolaire).

Les trois facteurs scolaires favorisant la violence en milieu scolaire :

  • les équipes qui ne règlent pas leurs conflits : une équipe qui ne règle pas ses conflits est une équipe qui est toxique pour elle est pour ses élèves. De plus, la qualité des équipes éducatives dépend de la stabilité des équipes. Mais attention parfois stabilité peut vouloir dire niche écologique. 
  • les classes de niveaux : elles représentent de la criminologie organisée car c’est bande contre bande.
  • l’injustice scolaire : plus il y a un sentiment d’injustice scolaire, plus il y a des risques de harcèlement.

Le climat scolaire est une approche systémique. Il faut agir sur différents points :

  1. La stratégie d’équipe : c’est en équipe que l’on peut régler ces problèmes. Une équipe d’enseignants debout est une équipe qui a des relations suffisamment bonnes avec les parents. C’est également une équipe soudée : si ce n’est pas le cas, les enfants seront les otages des conflits entre les enseignants. Il faut éviter de penser qu’il y a du harcèlement partout sauf dans son établissement, éviter de vouloir résoudre seul-e une situation de harcèlement, éviter de penser que le harcèlement concerne uniquement la vie scolaire, la direction ou les personnels médicosociaux, éviter de conduire une action de prévention dans une seule classe où la situation a été révélée… Par ailleurs, il faut être les gardiens les uns des autres, prendre soin les uns des autres. 
  2. La justice scolaire : il faut mettre en place des règles claires appliquées par tous (adhésion de tous les adultes) ; faire participer les élèves à l’élaboration des règles ; respecter les principes généraux du droit comme l’individualisation de la sanction. Il faut mettre en place des conseils coopératifs en primaire, des réunions des délégués au collège, mobiliser des conseils à la vie collégienne et lycéenne. Il est important de sanctionner car toute non-réaction est une autorisation à continuer. Mais il faut également garder à l’esprit que plus on punit, moins cela sert. Il faut par contre éviter de sanctionner sans réfléchir à la façon de faire changer les auteurs de comportement, ne pas oublier de demander à la victime ce qu’elle souhaite (réparation), ne pas maintenir victime et auteur dans leur « rôle », ne pas penser que la situation est résolue une fois la sanction donnée. Garder à l’esprit que l’on a toujours besoin d’être reconnu socialement : si un élève n’est pas reconnu comme le bon élève, il sera reconnu
    comme « l’emmerdeur de service ». Penser à construire des règles à partir du faire et pas seulement à partir du dire : les règles pour aider les autres, les règles pour s’entraider… 
  3. Co-éducation : on ne peut pas parler de climat scolaire s’il n’y a pas de bonnes relations entre parents et enseignants. Il est donc important de communiquer sur le harcèlement en direction des parents d’élèves, de savoir accueillir la parole des parents de l’élève victime ou auteur, de suivre les situations de harcèlement avec un retour régulier aux parents. Voilà quelques actions possibles pour améliorer le lien avec les familles : courrier, mention sur le site Web de l’école, café des parents, liens avec les maisons de quartier, rencontre avec les parents délégués, présentation de projets d’élèves aux parents. Penser que pour un enfant, il y a des personnes essentielles : maman/papa et l’enseignant.e. Si ces deux personnes entrent en conflit, l’enfant va choisir maman/papa. Dans les cas de harcèlement, si maman/papa le positionnent en victime et qu’il s’en sort, il risque de leur donner tort. L’enfant se retrouve donc prisonnier d’un conflit de loyauté. Pour ne pas donner tort à maman/papa, il va faire le choix de rester victime et risque de devenir victime à vie. Dans les cas de harcèlement, le conflit de pouvoir est ce qu’il y a de pire. Ainsi, les parents veulent à tout prix un coupable. L’école quant à elle décrète que ce ne sont pas les parents qui vont décider. Il faut sortir de ce rapport de force. Pour l’école, dire : « Oui, votre fils est harcelé on va le travailler avec l’école : on va mettre de l’intelligence collective ». Pour les parents, ne pas chercher un coupable mais se centrer sur comment l’école va aider l’enfant, comment les parents vont aider l’école à aider leur enfant. L’enfant doit rester central.
  4. Qualité de vie à l’école : il faut savoir accueillir les nouveaux arrivants : le nouvel élève qui arrive dans un groupe, le nouvel enseignant qui arrive dans l’équipe. On peut proposer aux élèves de CM2 d’être les tuteurs des élèves de CP. Les grands peuvent être un recours. Il faut aussi organiser des événements collectifs ; surveiller les espaces communs (cour de récréation, couloirs, sanitaires, installations sportives…), organiser une journée de prérentrée, une journée d’intégration, des rituels d’accueil dans la classe, des espaces d’écoute ; réfléchir à l’aménagement des espaces de la cour.

Le climat scolaire c’est une affaire d’humanisme : quelle est notre conception de la vie, de l’amitié, de la différence ?

« N’oubliez jamais comment bat le cœur d’un enfant qui a peur ». Janus Korczak